• Que quelque chose n’aille pas dans l’Union Européenne, beaucoup s’en doutent. Mais le lire précisément dans le détail, c’est accablant.

    mediapart.fr – 09/09/2015 martine orange (EXTRAITS)

    Qu’est-il en train d’advenir du modèle social et démocratique européen ? Pièce par pièce, morceau par morceau, celui-ci est taillé en charpie, répond l’organisation Oxfam dans un nouveau rapport sur les inégalités et la pauvreté en Europe, publié le 9 septembre.

    Les Européens se retrouvent confrontés à des situations, à des difficultés qui semblaient impensables depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. « Au sein des nations prospères de l’Union européenne (UE), 123 millions de personnes risquent de sombrer dans la pauvreté et l’exclusion sociale (soit près d’un quart de la population), tandis que près de 50 millions de personnes rencontrent des difficultés matérielles majeures, manquant d’argent pour couvrir les frais de chauffage de leur foyer ou faire face à des dépenses imprévues », écrit l’ONG en préambule.

    Le chômage et le sous-emploi sont devenus une plaie constante des pays européens. De nombreux ménages, même en travaillant, n’arrivent plus à subvenir aux besoins essentiels. Ce qui semblait auparavant réservé aux États-Unis ne l’est plus : les travailleurs pauvres font désormais partie de la réalité du continent.

    1% les plus riches -40% des plus pauvres etc.

    Pourtant, l’Europe est riche. Elle n’a peut-être même jamais été aussi riche :

    26 000 euros par habitant, selon les moyennes statistiques. Mais les inégalités n’ont jamais été aussi grandes. Selon une étude de Credit Suisse, les    1 % des Européens les plus riches détiennent près d’un tiers des richesses du continent. Les 40 % les plus pauvres, eux, possèdent moins de 1 % des richesses nettes totales de l’Europe. Le nombre de milliardaires n’a cessé de grandir. Ils étaient moins de 100 en 2002. Ils sont près de 350 aujourd’hui. Ces 342 grandes fortunes résidant en Europe se partagent une fortune cumulée de 1 500 milliards de dollars.

    (.................................................................................)

    Le démembrement de l’état social européen n’est pas le fruit du hasard, mais celui d’une captation des décisions politiques par une élite au service de ses propres intérêts.

    L’évitement de l’impôt, la privatisation des services publics les plus rentables, la confiscation des biens publics par des intérêts privés, l’abandon des plus pauvres… toutes ces mesures sont là pour les satisfaire, dénonce Oxfam. « La concentration des richesses confère aux élites économiques le pouvoir et la possibilité d’exercer un lobby et de s’imposer sur l’échiquier politique européen. Ce phénomène crée un cercle vicieux où ces élites influent sur l’élaboration des politiques et les réglementations pour servir leurs intérêts, ce qui génère souvent des politiques qui nuisent aux intérêts du plus grand nombre, creusent les inégalités et renforcent le pouvoir des élites », accuse l’ONG.

    La meilleure illustration lui semble être l’intense travail de lobbying fait par les puissances d’argent et les intérêts particuliers au sein de la Commission européenne. Bruxelles est désormais le paradis du lobbying international. Plus de 10 000 cabinets y ont élu demeure. Et encore, le chiffre est sans doute sous-estimé, puisque l’inscription en tant que lobbyiste n’est que facultative et ne donne lieu à aucune sanction en cas d’omission.

    Selon un rapport de Transparency International, la relation privilégiée entre le monde de l’entreprise et les politiques présente un risque de corruption dans toute l’Europe. À titre d’exemple, le monde financier aurait dépensé 120 millions d’euros en 2013, rien qu’en action de lobbying à Bruxelles. La seule opération pour contrer la taxation sur les transactions financières aurait représenté une dépense de quelque 70 millions d’euros pour le monde financier. Entre 2013 et mi-2014, les fonctionnaires européens auraient reçu plus d’un représentant du lobby financier par jour. Faut-il s’étonner alors que rien de contraignant ne leur soit imposé, que toutes les dispositions, les réglementations aillent dans le sens de leur intérêt ?

    Cette « culture des intérêts », comme le dit Oxfam, ébranle le fondement même de la démocratie. « De nombreux citoyens européens sont conscients de l’omniprésence de la confiscation politique. Une étude de 2013 démontre que la majorité des citoyens européens sait que leur gouvernement privilégie les intérêts particuliers d’une minorité », écrit l’ONG. « Ils sont de plus en plus désabusés vis-à-vis de leur propre gouvernement, des institutions nationales et européennes, ainsi que du fonctionnement général de la démocratie. »

    Le danger est mortel, alerte Oxfam, affirmant qu’il y a urgence à renouer avec le modèle social européen, à remettre l’égalité au cœur des processus politiques, avant qu’il ne soit trop tard.

    LIRE L'ARTICLE IN EXTENSO : Oxfam dénonce la mise en pièces du modèle social européen | Anti-K

    NON au capitalisme-europeen


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  • Espagne: Manifestation historique à Vigo contre la privatisation du système de soin. A l’appel notamment des organisations syndicales de la santé, 200.000 personnes ont manifesté le 3 septembre à Vigo (Espagne) contre la privatisation des hôpitaux et du système de soin. Parmi les slogans, les manifestants ont scandé « nous sommes des patients, pas des clients ».

    Manif a VIGO

    La communauté Valencienne  subit depuis   dix ans la pire situation sanitaire en Espagne, selon la FADSP 

    Source : La Comunidad Valenciana lleva 10 años con la peor Sanidad de España, según la FADSP - 20minutos.es

    • ·     La Fédération des Associations pour la Défense de la Santé Publique (FADSP) a publié son rapport annuel, qui analyse l’état de la Santé dans les Communautés  Autonomes.
    • ·    La grande disparité entre les services de santé des Communautés Autonomes augmente, ce qui « met en danger la nécessaire cohésion et équité entre les territoires ».
    • ·     La politique de restrictions budgétaires pour la Santé  « a affecté toutes les Communautés Autonomes, mais cela les a touchées « les unes plus que les autres ».
    • Un habitant du valenciennois  aura un service de Santé Publique avec quasiment la moitié de la qualité dont jouit un citadin navarrais. C’est ce que révèle la Fédération des Associations pour la Défense de la Santé Publique (FADSP), qui analyse des données sur la situation de la Santé Publique dans les Communautés Autonomes depuis 2004  en faisant entre elles des comparaisons.

    Le dernier rapport, concernant 2014, montre qu’il y a « une différence excessive » entre les Communautés Autonomes, ce qui provoque « de manière inévitable une inégalité dans l’accès à la protection de la santé ».

    L’un des cas les plus significatifs est celui de la Communauté Valencienne, qui, pour 10 des 11 années sur lesquelles porte cette étude  a été la Communauté Autonome avec la pire des notes dans toute l’Espagne, avec quasiment la moitié des points attribués à la Navarre, qui figure à la première place.

    Le rapport de la FADSP a été réalisé en divisant la qualité en 26 points de contrôle, comme la dépense de santé par habitant, le nombre de lits, de salles d’opération, de médecins et d’infirmiers pour 1000 habitants, la dépense pharmaceutique, le nombre d’examens médicaux réalisés, les listes d’attente ou la satisfaction des citoyens, entre autres.

    Le résultat est que la Navarre (82 points sur un maximum de 98) est la communauté où l’on jouit du meilleur service public de santé, suivie de l’Aragon (75), du Pays Basque (73), des Asturies (73), de Castille et León (72). Dans la catégorie « Services Sanitaires Moyens » figurent l’Andalousie (64), la Cantabrie (64), la Galice (61) et la Rioja (60).

    En queue on trouve, avec des « Services de Santé Déficient » Castille La Mancha (59), la Catalogne (57), l’Estrémadure (56, elle perd 3 places cette année), et Madrid (56) et à la fin, avec les pires services sanitaires, ce sont les Baléares (54), Murcia (53), Les Canaries (47, et 6 ans de suite à l’avant-dernière place,  et la communauté Valencienne, déjà citée.

    Le rapport met en évidence que « la différence entre les Communautés Autonomes est évidemment excessive (36 points sur un maximum atteint de 82) » et que « on s’aperçoit que la grande inégalité entre les services sanitaires des Communautés augmente, ce qui met en péril la cohésion, l’équité nécessaires entre les territoires ».

    Qui plus est, on observe que le fait qu’il y ait des communautés avec de meilleurs résultats « ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de restrictions et de régressions dans leur système sanitaire, qui se sont produites dans toutes les Communautés Autonomes, mais que la situation au départ était bien meilleure, ou bien que les restrictions de crédits ont été comparativement moins importantes.

    Le rapport impute l’impact différent de la politique de restrictions, qui ont affecté toutes les communautés autonomes, mais les unes plus que les autres, à l’intérêt  de leurs gouvernants « pour préserver la Santé Publique, quelques-uns ayant appliqué une politique moins agressive contre leur système de santé. De toute façon, la crise économique actuelle et les politiques des administrations publiques impactent durement les services de santé.

     

    L’étude souligne qu’ « il y a des preuves sans équivoque que les privatisations entrainent un coût entre 7 et 9 fois plus élevé sans améliorer la qualité des services de santé (et dans beaucoup de cas, la dégradent) » et que l’opinion des citoyens sur la Santé est de plus en plus mauvaise : « sur les deux dernières années l’appréciation qu’ils donnent de la Santé Publique a chuté, de même le pourcentage de la population qui pense que le système de santé fonctionne bien ou assez-bien est en régression  et le pourcentage de ceux qui pensent que l’Assistance de Santé a empiré monte en flèche ».


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  • STOP TAFTA

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  • 09 septembre 2015 | Par yorgos mitralias - Mediapart.fr

    Dans les conditions de la crise paroxystique qui secoue la Grèce, nous assistons au déchaînement d’un sexisme extrêmement violent contre les femmes ! Et en plus, ceci se passe sur la scène politique centrale au vu de tout le monde.

    Nous pensons que ce sexisme extrême et violent qui est en train de prendre les dimensions d’une vraie épidémie, diffère sensiblement du vieux sexisme quotidien qu’on a connu durant un passé récent plus pacifique, avant la présente crise de la dette

    Le cas de la Présidente du Parlement grec, par Sonia Mitralias.

    Figure emblématique et aussi principale victime de cette campagne –car il s’agit d’une vraie campagne- sexiste ultra-violente est la Présidente du Parlement grec Zoé Konstantopoulou. Évidemment, ce n’est pas un hasard que cette campagne sexiste contre elle a redoublé de vulgarité et de violence depuis qu’elle a prise l’initiative de lancer la Commission pour la Vérité sur la Dette Publique grecque et de devenir la figure de proue de l’opposition intransigeante à la soumission du gouvernement Tsipras aux diktats des créditeurs de la Grèce.

    La présidente du Parlement grec brandissant en pleine séance du parlement la première page du journal

    La présidente du Parlement grec brandissant en pleine séance du parlement la première page du journal, qui faisait appel à son mari pour la « museler ».

    Mais, voyons de plus près de quoi il s’agit. Jour après jour depuis au moins 7 mois, toutes les déclarations de la Présidente du Parlement grec sont introduites dans pratiquement tous les grands médias du pays, journaux et chaines de télévision inclues, par les mots/titres « Nouveau délire hier de Zoé ». Cette monotonie des « délires de Zoé » est fréquemment interrompue par des titres gigantesques de la presse dite « populaire » du genre « L’homme de Zoé ne peut-t-il pas la museler ? » ou « Zoé est du domaine du psychiatre ». En pleine campagne électorale pour les élections du 20 septembre, les principales chaines (privées) de télévision ont inventé une « rubrique » spéciale de leurs JT qui, jour après jour, présentent ce qui circule dans le médias sociaux concernant Zoé. Évidemment, il s’agit toujours des caricatures, souvent obscènes, couplées d’images ou des dessins d’elle déformées à volonté, dont l’authenticité n’est pas –évidemment- du tout assurée…

    Mais, il y a plus et pire que tout ça.

    LIRE LA SUITE : http://blogs.mediapart.fr/blog/yorgos-mitralias/090915/grece-dechainement-sexiste-contre-les-resistances-aux-memoranda

    Ce serait une erreur d’attribuer cet « extrême phénomène sexiste » à des comportements phallocratiques individuels dus au hasard ou à des mentalités anachroniques. Il s’agit d’une chasse contemporaine aux sorcières (...)

    Dans l’actuelle Grèce des ruines humaines et sociales, tous ceux qui défendent les bourreaux et leurs politiques inhumaines (médias, partis politiques néolibéraux, politiciens corrompus, centres des pouvoirs plus ou moins occultes, organisations patronales et même le crime organisé) utilisent à fond et comme jamais auparavant le sexisme le plus abject pour briser les femmes qui prennent la tête des luttes contre les politiques d’austérité ou le système-dette, qui osent défendre les migrants, les réfugiés, la nature, les innombrables victimes des politiques barbares en application.

    Ici on a affaire à une stratégie semblable à celle utilisée par le crime organisé pour imposer sa « loi » -la loi du maitre, du maquereau- sur le système d’exploitation des esclaves du sexe, le sex-trafficking.

    Elle consiste à utiliser la peur, la violence, les tortures et même la mise à mort pour briser toute résistance, pour anéantir l’âme et l’esprit, la dignité et l’estime de soi-même pour discipliner le corps des femmes afin qu’elles se soumettent sans conditions pour être sacrifiées sur l’autel de la maximisation des profits du système prostitutionnelle.

    Ceci étant dit, on ne peut qu’être impressionné négativement par l’attitude d’une institution comme le Secrétariat Général pour l’Egalité des Genres du gouvernement Tsipras, supposé défendre toute femme victime d’attaques sexistes, qui est resté totalement impassible devant le véritable lynchage sexiste dont était victime la Présidente du Parlement grec.

    Cette impression négative devient encore plus grande quand on se souvient que la victime de ce lynchage était un personnage public de premier ordre et même une dirigeante du parti (Syriza) dont sont aussi membres…la Secrétaire Générale pour l’Egalite des Genres et le premier ministre Alexis Tsipras !

    Mais les « surprises » édifiantes atteignent un summum quand on apprend que ce même Secrétariat Général s’est empressée de réagir et de condamner l’attaque sexiste d’un quotidien dont la victime était la Roumaine Delia Velculescu qui représente le Fonds Monétaire International et est à la tête de l’actuelle version de la Troïka qui impose ses diktats a la Grèce.

    On s’est arrêté un peu plus sur cette histoire parce qu’elle est emblématique de nos temps néolibéraux.

    Nous pensons que pour défendre effectivement nos droits en tant que genre, il nous faut faire (re)naître un courant féministe radical, qui émergera du combat des femmes contre la très dure réalité sociale de ce début du 21e siècle, contre le système dette et les fondamentalismes patriarcaux de tout genre. ll faut faire (re)naître un courant féministe qui rompt avec le courant féministe identitaire, qui s’intéresse uniquement aux politiques d’identité du genre et nie le rapport de la vie vécue par des millions de femmes en tant que genre avec la lutte de classes, ainsi qu’avec d’autres inégalités et discriminations.

    Conclusion : Le sexisme qui se déchaîne actuellement en Grèce est redoutable car c’est une arme qui sert à diviser les luttes et à anéantir les résistances de toutes et de tous. Elle ne concerne donc pas seulement les femmes, mais nous tous, bien au-delà des frontières grecques …

    Références :

    Voir l’article de Sonia Mitralia Violences contre les femmes : une arme stratégique aux mains du pouvoir et des possédants aux temps de la guerre sociale !

    Voir l’ouvrage majeur de Silvia Federici, « Caliban et la sorcière » aux éditions Entremonde. Silvia Federici est une théoricienne et une militante féministe marxiste.


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  • Le 1er juillet 2015, moment de l’entrée en vigueur de la « ley mordaza » (la « loi bâillon ») et de la dernière réforme du Code pénal, la monarchie espagnole s’est transformée en un État policier, achevant ainsi une étape de populisme punitif qui démarra dans la décennie des années 1990 avec la « ley de la patada en la puerta » et le Code pénal « de la démocratie » en vigueur depuis 1995 : le plus dur en Europe et digne héritier du code franquiste.

    manifestacion_contra_la_ley_mordaza_en_madrid

    Ce qui avait été jusqu’à aujourd’hui un État de partitocratie caractérisé par un autoritarisme rampant émanant d’un « pouvoir » législatif qui peu à peu foulait aux pieds les droits et supprimait les libertés, avec la complicité d’un « pouvoir » judiciaire dépendant des partis, est dorénavant un État d’exception déclaré grâce à un système juridique fait à la mesure de l’appareil répressif. La différence n’est pas mince : jusqu’à avant-hier, la partitocratie s’appuyait principalement sur le conformisme des masses ; maintenant, elle le fait avant tout sur « les forces et les corps de sécurité ». Cela veut dire que les problèmes politiques sont de plus en plus considérés comme des problèmes de sécurité, c’est-à-dire des problèmes d’ordre public, que cela soit l’irruption incontrôlable de la question sociale ou l’affaiblissement irrépressible du régime devant les conséquences de la sortie de la Grèce de la zone euro. Il y a au minimum une part significative de la classe dominante qui est prise de panique devant le danger que comporte le développement des conflits sociaux dans les grandes villes et sur le territoire, conséquence directe de la crise économique et du discrédit institutionnel, et qui considère que le renforcement du système des partis qui a conduit à l’apparition de nouvelles options politiques n’est pas suffisant. Une partie de l’oligarchie dirigeante a plus confiance en l’intégration des partis et des coalitions émergentes à l’aide d’une politique d’accords ; une autre croit davantage aux cordons policiers avec carte blanche pour réprimer sans ménagements toutes velléités de protestation et de dissidence. Dans un cas, il suffirait d’appliquer les mécanismes habituels de vigilance et de contrôle du postfranquisme, fortement soutenus par la législation des gouvernements socialistes antérieurs ; dans l’autre, il s’agirait purement et simplement d’un retour à la politique de l’ordre pratiquée par la dictature franquiste.

    Le pacte social qui fondait la partitocratie symbolisé par la loi Corcuera paraît s’être fissuré. Les forces politiques qui prétendent faire passer la « sécurité citoyenne » avant les droits actuels sur la vie privée, le logement, l’accueil de réfugiés, le droit de réunion, de manifestation et d’expression, pourtant eux-mêmes déjà bien réduits, pensent que la situation sociale menace de se détériorer et de dériver vers des conjonctures à la grecque, car le régime est trop vulnérable face aux spéculations financières, et à mesure que de nouveaux trous surgissent dans le financement, il le sera encore plus. Pour conjurer une crise potentielle avec un autre sauvetage compliqué à l’horizon, comme un Syriza à l’espagnole, elles ont parié sur la ligne dure. Elles considèrent nécessaire d’imposer un « cadre juridique adéquat » et une déréglementation de l’activité policière qui permet une impunité totale lors de pratiques jusque-là illégales et exécutées sans trop de couverture, comme l’avait fait en son temps la loi précédente. On l’autorise même à prendre des sanctions qui incombaient auparavant au juge. Il semble que l’intervention arbitraire et disproportionnée de la police contre les terceros, c’est-à-dire ceux qui protestent, soit, oligarchiquement parlant, la seule façon de garantir un « fonctionnement normal des institutions » à l’intérieur de la crise et, de la même manière, d’assurer la « tranquillité » des citoyens qui décident dans l’économie et la politique. Pour que la société et l’État continuent d’être dans les mains d’irresponsables et de corrompus, la rue doit rester à la merci des vrais violents : la flicaille.

    La « loi bâillon » est la première du genre à définir le concept de « sécurité citoyenne » : c’est « la garantie que les droits et les libertés reconnus et protégés par les constitutions démocratiques peuvent être librement exercés par la citoyenneté ». Le propos s’éclaircit quand on comprend qu’il se réfère au droit d’être d’accord avec les dispositions de l’État et à la liberté de lui obéir. La législation sécuritaire agrandit l’échantillonnage des faits « perturbateurs » et des formes délictueuses dans des termes suffisamment ambigus pour couvrir un secteur important de la population : celui qui manifeste, désobéit, critique les politiques, s’oppose aux expulsions, convoque des actions par internet ; celui qui fait partie des piquets de grève, occupe les maisons, arrête le trafic, photographie les brutalités des forces de l’ordre ; celui qui interfère « dans le fonctionnement des infrastructures critiques », c’est-à-dire qui défend le territoire, y compris le supporteur passionné de football trop bruyant et… celui qui participe à un botellón : la dipsomanie juvénile semble maintenant devenue subversive aux yeux dévots des dirigeants. Dans le panier punitif, on trouve de tout, du fanatique djihadiste au citoyen modeste qui ne se croit pas obligé de montrer sa carte d’identité au premier sbire venu, du pacifiste qui s’enchaîne contre les lignes THT au piéton qui refuse d’être fouillé, de l’immigrant sans papiers à l’insolvable qui résiste pour ne pas abandonner sa maison. Tous sont infractores (transgresseurs) et à ce titre figureront dans un registre, quels que soient la légèreté de l’infraction et le degré de culpabilité, parce que si minimale soit-elle, elle est susceptible d’être considérée comme opposée à l’ordre constitutionnel et par conséquent responsable d’apporter son grain de sable à la déstabilisation « des institutions politiques, des structures économiques ou sociales de l’État ».

    La « loi bâillon » nous indique que le régime de partitocratie évolue inéluctablement vers une société totalitaire, telle celle dénoncée par Orwell dans son roman 1984 : une information unilatérale, un contrôle des masses, une répression de l’activisme social, l’éradication de l’intelligence critique, les néolangages et les ministères de l’oppression, où n’importe quel signe extérieur de non-conformité peut provoquer de terribles humiliations. Aujourd’hui, Big Brother n’est évidemment pas le Parti, mais l’État partitocratique ; néanmoins, les devises restent les mêmes : « la guerre, c’est la paix », « la liberté, c’est l’esclavage », « l’ignorance, c’est la force ». La « loi bâillon » est un produit typique de la Raison d’État parce que avec elle on vise un renforcement du pouvoir qui tend à la conservation du régime au-dessus des sujets appelés « citoyens », quel que soit le moyen employé. De préférence immoraux, arbitraires, violents et illégitimes, puisque, aux yeux des experts en répression de l’oligarchie dirigeante, ils sont les plus efficaces. Depuis le 1er juillet, la partitocratie est visiblement ce qu’elle était déjà essentiellement : un État policier qui souhaite la bienvenue à son « citoyennisme » avec une expansion pénale parfaitement réglementée sans avoir besoin de recourir au coup d’État.

     

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    Revue Argelaga,
    le 6 juillet 2015


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