• Le mythe de la robotisation détruisant des emplois par millions : les limites écologiques

    Les deux billets qui précèdent (lien vers le premier) contestent les discours catastrophistes sur les destructions massives d’emplois que provoqueraient la robotisation et d’autres technologies du même type. Mais il serait stupide de nier que sur certains segments d’activité cet effet destructeur existe et qu’il peut même être massif. Les technophiles (les plus ardents sont ceux qui vendent ces outils) ont un argument : cela soulagerait l’humanité laborieuse des tâches les plus pénibles ou les plus répétitives. Les technophiles de gauche ou écolo ajoutent : cela libère du temps et relativise encore plus la place du travail dans nos vies, sous réserve que le volume réduit de travail qui restera soit équitablement partagé, tout autant que les revenus correspondants.

    Lire : les limites écologiques du productivisme / JEAN  GADREY / Blog Médiapart

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    PHOTO : Transformation du travail : le numérique détruit-il massivement des emplois ? | Zevillage

     

    Face à la technophilie, voici un commentaire de mon premier billet dont je remercie l’auteur : « je puis témoigner du cas de mon secteur d’activité : composition de textes, maquette et mise en pages, où la quasi totalité des ouvriers et des artisans sont remplacés par des robots (à savoir par des logiciels, qui sont des robots « immatériels »). Là où il y a dix ou vingt ans il fallait une cinquantaine de personnes pour produire un livre ou un journal (clavistes, maquettistes, monteurs, etc.) il n’en faut plus que trois : un poste de saisie (journaliste pour les articles, robots pour le reste - annonces légales, cours de la bourse, météo et j’en passe), un secrétaire de rédaction qui pilote l’ordinateur/robot et un informaticien pour programmer le dit robot.

    Le résultat c’est bien entendu du chômage, de la perte de sens et une énorme perte de qualité. Le résultat c’est aussi moins de lecture, donc moins de lecteurs, parce que les pages ainsi montées deviennent « dégueulasses » et donc illisibles (ou peu lisibles), donc des entreprises qui ont lourdement investi dans leur propre perte à moyen terme : c’est un système qui se suicide lentement, mais à quel prix humain et civilisationnel… »

    Par contraste, on peut aussi trouver des cas où l’automatisation a constitué un progrès humain et social selon divers critères. Mais si elle avait vraiment contribué à réduire le « sale boulot », ça se saurait. Pratiquement partout, ce « dirty work » (voir sur AlterEcoPlus ce billet : recyclage, économie circulaire: emplois d’avenir ou «sale boulot»?) est aujourd’hui majoritairement effectué par des gens sous-payés, souvent des travailleurs migrants. Les robots, c’est bien trop coûteux pour remplacer cette main-d’œuvre.

    En fait, le plus surprenant avec la résurgence du thème des robots, c’est que tout se passe comme si c’était un phénomène nouveau ou en voie d’accélération subite alors qu’il n’en est rien. Si je me limite aux robots dans la production (principalement industrielle bien que d’autres secteurs soient concernés), leur apparition dans le secteur automobile date des années 1960 ! La diffusion de robots pilotés par des logiciels et dotés de capteurs a débuté dans les années 1980, et la progression des ventes mondiales de robots industriels depuis les années 1990 est vive mais pas explosive : 100.000 en 2000, autour de 200.000 aujourd’hui, en comptant le fait qu’il faut les remplacer car ils ne vivent pas très vieux, 12 ans en moyenne (source). C’est toujours et de loin le secteur automobile qui est en tête des investissements, et c’est toujours et de loin le Japon qui a la plus forte densité de robots dans ce secteur : 150 pour 1000 salariés, contre 110 aux Etats-Unis et 28 en Chine.

    ROBOTS ET ECOLOGIE

    Dans aucun des discours soit très alarmistes (sur l’emploi) soit beaucoup plus optimistes (les robots émancipateurs), je n’ai vu la moindre allusion aux faits suivants : les robots et autres technologies semblables, c’est beaucoup d’énergie, beaucoup de matières premières et de minerais devenant rares, ce qui rendra impossible la généralisation de ces outils non seulement dans l’industrie mais aussi là où on annonce leur avenir radieux : domotique, médecine et chirurgie, transports (pilotage automatique, voiture se dirigeant elle-même…), exploration de l’espace et des mers, etc. Et je ne parle même pas de leur généralisation dans les pays du Sud.

    L’analyse à la fois écologique et économique (du fait du coût croissant de l’énergie et des minerais) du jugement des « performances » des nouvelles technologies existe depuis une dizaine d’années pour l’informatique, les serveurs et les réseaux, qu’il s’agisse de mesurer leur consommation d’énergie, l’empreinte carbone des ordinateurs et de leur usage ou encore celle d’une consultation sur le Net. Les chiffres obtenus impressionnent (autour de 10% de la consommation électrique mondiale) et ils sont en vive croissance : on est à l’opposé du qualificatif « immatériel » souvent utilisé.

    Je n’ai rien trouvé en revanche pour les robots, dont on sait juste qu’ils sont très énergivores. Le point central selon moi est le suivant : la robotisation de la production est la forme extrême de l’industrialisation productiviste et ses impacts écologiques tiennent largement au volume lui aussi croissant des matériaux et ressources transformés. Produire toujours plus avec autant ou moins de travail (les fameux gains de productivité du travail), c’est le plus souvent consommer plus de matières et d’énergie, avec plus de rejets. On se heurte alors forcément à la raréfaction physique et à des coûts croissants à long terme. Le long terme n’est pas la préoccupation des industriels vendeurs et utilisateurs de robots, mais ils finiront par en rencontrer les manifestations.

    Je vais prendre un exemple non industriel avant de conclure. Les robots ont commencé à se diffuser dans l’élevage, en particulier pour la traite. Il ne s’agit plus seulement des trayeuses électriques à l’ancienne, qui supposaient une intervention humaine, mais de vrais robots où les vaches laitières viennent elles-mêmes se positionner : « les salariés trayeurs ont laissé la place à des bras robotisés qui lavent les mamelles, branchent les gobelets et appliquent un produit de trempage après la traite. ». Fort bien, mais dans l’exemple de réussite mis en avant en Australie l’éleveur est « propriétaire de quatre fermes et de 1.350 vaches ». Il s’agit malgré tout de pâturage (dans cet exemple). Il faut très peu de main d’œuvre, au point que « « une personne seule peut facilement gérer un troupeau de 600 vaches le temps d’un week-end ». Belle libération de temps dans l’agriculture…

    Ce n’est pas la seule technique de robot de traite. D’autres, qui existent en France peuvent fonctionner sur des exploitations de taille moyenne, par exemple 50 à 100 bêtes, mais à un coût élevé (140 000 euros à l’achat plus 20 000 euros par an).

    Les articles sur la question ressemblent à des contes de fées, ou à des pub, ce qui est parfois identique. Tout se passe comme s’il n’y avait qu’un modèle d’agriculture viable : à grande ou assez grande échelle. Tout se passe comme si l’élevage des bovins était destiné à croître, comme si la quête de gains de productivité était une finalité indiscutable. Et alors oui, sur cette base, les robots sont sympa.

    Mais, dans ce cas comme pour le commerce (billet précédent), et comme pour certains secteurs industriels, un avenir socialement et écologiquement soutenable est-il du côté des « usines à vendre », des « usines à vaches et à lait », à poulets, à porcs, à tomates, fraises ou maïs, et des gains de productivité à perte de vue ? Est-il du côté de la consommation croissante de viande, de lait, de voitures, de téléphones portables, de tout ?

    Si l’on répond non à ces questions, ce qui est mon cas, on pourrait presque en conclure que la plupart des robots et des automates n’ont pas d’intérêt pour la transition et qu’au contraire ils sont essentiellement des machines à faire de la croissance matérielle et à surexploiter encore plus la nature. Quitte à impulser des recherches et des innovations, il vaudrait mieux les orienter vers des gains de qualité de vie, de travail et de soutenabilité que vers des gains de productivité tous azimuts. Et soumettre le tout à des évaluations citoyennes.

    Qui plus est, cela pourrait contribuer à créer… des millions d’emplois ayant du sens. Car si le productivisme et la robotisation n’ont pas eu comme effet de « supprimer des millions d’emplois », ils ont en revanche empêché de créer beaucoup d’emplois utiles et ayant du sens.

    P.S. Je n’ai pas évoqué les imprimantes 3D, autre grand espoir des rifkiniens de droite et de gauche, mais j’en avais déjà parlé. Je n’ai pas non plus envisagé le thème des « robots écolo » : des robots pour traiter le cœur de Fukushima, ou, sur un mode humoristique, pour remplacer les abeilles (une bonne campagne de Greenpeace) ou la « robotique au service de l’agro-écologie», ou mieux encore « Comment les robots écolos vont sauver la planète »… Je suis très sceptique dans ces deux derniers cas aussi, mais ça n’a guère de rapport avec le thème central de ces trois billets et il faut bien que j’arrête ma prose.


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