• Le contrôle fiscal victime de l’austérité
    Le gouvernement prêt à s’asseoir sur les milliards récoltés par le contrôle fiscal ? A la CGT finances publiques, il n’y a plus aucun doute.

    Ils étaient jusqu’ici épargnés, bien trop rentables. Les contrôleurs fiscaux ne faisaient pas partie des 2 000 postes qui disparaissent chaque année au ministère du Budget et des Finances publiques. Ce ne sera désormais plus le cas. Ceux chargés de faire la chasse aux fraudeurs du fisc sont dans le champ de tir de Bercy.

    En Haute-Garonne, par exemple, vingt-deux postes seront supprimés en 2016, dont deux emplois de « vérificateur ». « Selon les documents communiqués aux organisations syndicales pour le comité technique local du 18 décembre, un vérificateur rapporterait en moyenne 500 000 euros dans les caisses de l’état », relève la CGT.

    En supprimant ces postes, l’état se priverait potentiellement ainsi d’un million d’euros sur un seul département.

    Des décisions qui, appliquées à l’ensemble du territoire, entraîneront « la suppression de centaines d’emplois d’acteurs du contrôle fiscal et de vérificateurs  », alerte la CGT dans son communiqué. « La fraude fiscale est sanctuarisée ! » affirme la CGT. Pour justifier la disparition de postes de vérificateurs, Bercy s’est arraché les cheveux, en inventant un savant calcul.

    La méthode consiste à mesurer « le poids du potentiel de contrôle fiscal de chaque direction en fonction des charges fiscales (nombre de déclarations, chiffres d’affaires, nombre de demandes de remboursements de crédits de taxe), les enjeux (montant des rectifications et encaissements) et les risques fiscaux (nombre de contrôles répressifs et de plaintes pénales déposées), puis à rapprocher ces éléments des emplois actuellement implantés au 1er janvier 2015 ».
    Autrement dit, il s’agit de mettre fin au « contrôle ponctuel et de cibler les contrôles où la fraude est déjà avérée », explique Emmanuelle Planque, en charge du collectif contrôle fiscal à la CGT finances

    Or, argumente la syndicaliste, « c’est sur le terrain au travers des recherches effectuées dans les entreprises que l’on peut détecter le plus gros de la fraude ». Car ces agents ont en charge le contrôle des toutes petites entreprises, dans les secteurs de la restauration, du gardiennage ou du bâtiment.

    « Des secteurs où la fraude sociale et fiscale pour travail non déclaré ou fraude à la TVA est importante », assure Emmanuelle Planque. Selon une note de Bercy révélée hier par le Parisien, les fraudes à la TVA représentent un manque à gagner de 17 milliards d’euros par an pour l’état, soit l’équivalent du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) versé aux entreprises en 2015. Sur cette cagnotte, le fisc parvient, via ses contrôles, à récupérer environ 3 milliards d’euros de TVA fraudée par an, note le quotidien.

    Par ailleurs, les vérificateurs seront désormais soumis à « une enquête de satisfaction au moyen d’un questionnaire, auprès des entreprises ayant fait l’objet d’un contrôle fiscal, comme n’importe quel prestataire de services », dénonce la CGT, voyant là « une véritable porte ouverte aux réclamations».

    Après l’abandon du « reporting », qui impose aux entreprises de publier des données sur leur activité dans chaque pays d’implantation, puis le décret sortant les îles Vierges britanniques de la liste noire des paradis fiscaux, les 60 à 80 milliards de fraude et d’évasion fiscales ne sont pas près de retourner dans les caisses de l’état. â– 

     

    Clotilde Mathieu

    L'Humanité


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  •  Sil existait quelque chose comme une jauge de la faute et de la vertu des peuples, on pourrait dire que le corps social n’a jamais que « ce qu’il mérite ». Mais rien de tel n’existe sauf dans la vision moraliste du monde qui passe tout au tamis du jugement et de la rétribution. Nous avons cependant le recours de dire autre chose : de dire que le corps social fait, à chaque instant, la démonstration en actes de ce qu’il peut — de son degré de puissance. Ça n’est donc plus une question de jugement, c’est une question de mesure. Par ce qu’il accomplit et par ce qu’il omet de faire, par ce qu’il tolère et par ce qu’il refuse, le corps social donne l’exacte, la parfaite mesure de ce qu’il peut.

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    Dans ces conditions, il n’y a plus qu’à arpenter. Un peuple qui, s’étant donné à un Sarkozy, se donne à un Hollande — sa réplique sous tous les rapports, parfois même en pire —, que peut-il exactement ? Un peuple qui tolère une classe de porte-voix médiatiques répétant comme des tourne-disques toutes les injonctions gouvernementales, quel est son degré de puissance ? Un peuple qui aurait dû, scandalisé par l’obscénité de leur servilité d’Etat, conspuer les chaînes d’information en continu, qui devrait congédier sous les lazzis les intellectuels casqués, et sous les épluchures les éditorialistes à jugulaire, qui devrait faire honte à un premier ministre se revendiquant explicitement de l’inintelligence des choses, honte à ses représentants rejouant comme des automates ces scènes historiques du parlementarisme français, les scènes de la trahison des représentés, de l’assentiment démocratique au pire, un peuple que l’amour de la liberté devrait soulever contre l’Etat policier terrorisant certains de ses citoyens au nom de la sécurité des citoyens, un peuple qui devrait faire tout cela et qui ne le fait pas, de quoi est-il capable au juste ? A ce peuple en corps, il faut poser la question que Spinoza pose à tout corps : qu’est-ce que peut un corps ? Et la réponse s’ensuit au spectacle des choses faites par le corps.

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    Au fond de la dépossession, les citoyens protesteront qu’« ils n’y peuvent rien ».Ils n’ont pas « fait » les institutions de la Ve République qui déterminent largement d’avoir à choisir entre le dur-mou et le mou-dur (en attendant la dure-dure), ils n’ont pas barre sur l’offre et prennent ce que l’état de l’offre leur offre. Ils ne peuvent rien au jeu capitaliste qui organise les médias et leurs efforts de verrouillage au service du duopole dit « de gouvernement ». Ils ne peuvent rien contre l’Etat de police infiniment plus puissant qu’eux, etc. Il y a du vrai et du faux dans toutes ces protestations. Du vrai à échelle de chacun, et du faux à échelle collective. Oui chacun est en proie à la dépossession, mais tous ont contribué de fait aux structures de la dépossession – un tous historique (diachronique) puisque ces structures viennent de loin, mais un tous contemporain également puisque, venues de loin, ces structures n’en sont pas moins revalidées à chaque instant : par l’assentiment, fût-il tacite et passif. Seul un corps politique qui peut peu peut tolérer des institutions aussi anti-démocratiques que la Constitution de la Ve République. Seul un corps politique impuissant peut ne pas se dresser pour accabler les imposteurs de la parole publique de son sentiment de légitime scandale et, de honte, les faire rentrer sous terre. Au lieu de quoi, reconnus, reconduits et contents, ils prospèrent à l’air libre. À la fin des fins, si le corps politique d’aujourd’hui ne se lève pas dans un élan outragé, c’est que ses propres seuils de l’outrage se sont dramatiquement déplacés, qu’il en faut de plus en plus pour lui soulever une oreille, de cette surdité qui fait la joie des gouvernants abuseurs, littéralement déchaînés – puisqu’ils n’ont d’autres chaînes que nous.

    La rupture avec la pensée morale ne se fait complètement qu’à la condition de ne plus dire que nous sommes « individuellement responsables », et de substituer à ce type de jugement culpabilisateur la mesure de notre impuissance collective.Rien de ceci n’ôte qu’il y aura des actions individuelles (ou qu’il n’y en aura pas), qu’elles se rejoindront en forces plus ou moins importantes. Mais cette physique des forces passionnelles et désirantes en quoi consiste la politique n’a rien à voir avec la morale de la responsabilité (même si, le plus souvent, c’est ainsi qu’elle se présente à notre conscience, parfois même non sans une certaine efficacité). La question, c’est de savoir ce qui nous affecte, à partir de quels seuils, et ce qui nous met en mouvement – car c’est dans le mouvement de ce qu’il fait que le corps politique manifeste son exact degré de puissance.

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    L’Etat de police, qui est en train de s’abattre sur nous, nous fera-t-il passer nos seuils ?

    Ou encore : quelle part de la population les franchira-t-elle, et quelle demeurera dans la servitude contente ? Quelles inductions s’établira-t-il d’une part à l’autre ? Quels ralliements du dessillement, quelles modifications de seuil des uns au spectacle des autres ? C’est que le corps politique est loin d’être tout un. S’il est une union, c’est une union de parties – groupes et classes. Certaines des parties accourent à l’Etat et « luttent pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut ». D’autres luttent pour leur salut tout court et n’ont pas le goût de la servitude. La puissance d’ensemble du corps se joue dans cette composition conflictuelle. Qui entraînera qui dans quel sens ? Où s’établira la résultante ? À quel régime de puissance globale ses mouvements internes antagonistes détermineront-ils le corps un-mais-divisé ? Il faut poser ces questions pour mesurer nos chances de secouer l’appareil des précepteurs de l’ordre, qui ne tient que parce que nous ne voyons pas qu’il n’a pour lui que la reconnaissance que nous lui donnons, qu’il n’a en réalité aucune autre ressource – sinon, au cas-limite, la force des armes.

    Lire la suite : Le MONDE Diplomatique / http://blog.mondediplo.net/2015-11-30-Ce-que-nous-pouvons


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  • Le Monde.fr <time datetime="2015-12-21T15:10:53+01:00" itemprop="dateModified"></time>

    Depuis les attaques meurtrières du 13 novembre, discours et politiques purement sécuritaires ne cessent de prospérer. Le 16 novembre, dans la foulée des premières interpellations et perquisitions, le Ministre de l’intérieur annonçait : « Que chacun l’entende distinctement : ce n’est qu’un début. La riposte de la République sera d’ampleur. Elle sera totale ». Depuis lors, la surenchère n’a pas cessé. Après la rhétorique guerrière brandie par le président François Hollande contre l’organisation Etat islamique, le « redoublement des frappes militaires » françaises en Syrie, plus de 2 500 perquisitions et 350 assignations à résidence, voilà maintenant l’annonce d’une réforme constitutionnelle. Il s’agirait de graver dans la Constitution le recours à l’état d’urgence mais aussi la déchéance de nationalité contre les Français possédant deux nationalités définitivement condamnés pour un délit ou crime constituant un acte de terrorisme ou une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. En quoi cette modification de la Constitution envisagée dans l’urgence, sans réflexion véritable, est-elle à même de dissoudre la « menace terroriste » ? N’est-elle pas plutôt un énième coup porté à l’état de droit et aux libertés fondamentales que la Constitution est précisément censée garantir ?
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    A l’examen, les réformes annoncées apparaissent clairement inutiles au regard de la lutte antiterroriste, leur objectif officiel. En revanche, elles sont hautement liberticides et, concernant la déchéance de nationalité, ouvertement ségrégationnistes.

    la mise au ban du juge

    En matière de lutte antiterroriste, la législation est déjà largement dérogatoire au droit commun. Depuis maintenant trois décennies - on n’a pas attendu l’état d’urgence pour cela –, la lutte antiterroriste, en érigeant la sécurité comme « notre bien » le plus cher et le « premier de nos droits », justifie de multiples atteintes aux libertés. L’empilement des lois offre aux juges et aux forces de police des pouvoirs d’enquête et d’intervention exorbitants (saisies, perquisitions de nuit, écoutes téléphoniques, géolocalisation…). L’infraction d’« association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste » permet aux juges et aux policiers d’agir en amont de tout passage à l’acte. Les agents des services de renseignement qui travaillent en dehors de tout contrôle judiciaire ont déjà en droit et en fait un rôle pivot dans la lutte antiterroriste. Les droits de la défense ont déjà été largement sacrifiés au nom de la prévention du terrorisme. D’un point de vue opérationnel, l’état d’urgence n’a donc pas ouvert la voie à des mesures de lutte contre le terrorisme qui n’auraient pu être adoptées sans lui et, d’ailleurs, il n’a semble-t-il permis aucun résultat tangible.

    En revanche, l’éviction de l’autorité judiciaire et le pouvoir conféré au ministre de l’intérieur et aux préfets d’ordonner des assignations à résidence et des perquisitions sont redoutables pour la liberté individuelle. Avec l’aval du président de la République, les associations ou groupements de fait contestataires peuvent être dissous ! Pour s’en tenir aux perquisitions, celles-ci peuvent intervenir de jour comme de nuit, en tout lieu, sur le seul fondement qu’il existe « des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». « Raison sérieuse de penser », « lieu fréquenté », « comportement » « menace pour la sécurité publique », bien trop de notions floues dans une règle qui attribue un pouvoir aussi grave à l’exécutif agissant seul et qui dépasse la lutte antiterroriste. Nos dirigeants pensent-ils sincèrement que l’efficacité de la lutte antiterroriste passe par la mise au ban du juge au profit des préfets et de la police, dans un Etat d’urgence plus proche de l’Etat policier que de l’Etat de droit ?

    Pourquoi, alors, constitutionnaliser l’état d’urgence ? L’exercice, s’il affiche l’intention du gouvernement de préserver l’état de droit, ne permet aucunement de le garantir mais, bien au contraire, d’y déroger sans imposer aucune nouvelle limitation au pouvoir exécutif. Le projet de loi constitutionnelle, qui prévoit d’ajouter à la constitution un article 36-1 sur l’état d’urgence, reprend la solution législative actuelle qui confie au Parlement le pouvoir de proroger l’état d’urgence au-delà d’une période de douze jours ouverte par décret. Mais, une fois l’état d’urgence officiellement levé, le texte institue une période pour le moins étrange pendant laquelle les autorités administratives pourront décider de faire survivre les mesures prises pendant l’état d’urgence et, sur habilitation législative, adopter de nouvelles mesures générales (interdiction de réunions, fermeture de lieux publics…) si « demeure un risque d’acte de terrorisme ». En somme, à la seule condition que la menace terroriste perdure, l’état d’urgence perdurera… Qui ne devine que c’est à un Etat d’urgence permanent qu’on nous destine ?

    la déchéance de nationalité une idée grave et dangereuse

    Pratiquement, la constitutionnalisation de l’état d’urgence avaliserait, au nom de l’impératif sécuritaire, les atteintes aux libertés individuelles en évinçant le juge judiciaire, pourtant gardien de la liberté individuelle d’après l’article 66 de la Constitution. En effet, d’après la réforme, les mesures restrictives de liberté autorisées par la nécessité de prévenir tout acte de terrorisme seront soumises à la seule vigilance du juge administratif qui ne peut être saisi qu’a posteriori. En pratique, rien n’indique que les personnes qui ont subi et qui vont subir des atteintes à leurs libertés s’en référeront à la justice administrative… Surtout, le mal aura déjà été fait ; or, la liste des mesures prises au nom de l’état d’urgence et constitutives de graves atteintes aux libertés individuelles ne cesse de s’allonger sans que le contrôle exercé en référé par le juge administratif n’offre de réelle garantie pour les libertés. Comment justifier l’assignation à résidence de plusieurs dizaines de militants écologistes n’ayant commis aucune infraction ? Comment justifier l’arrêté préfectoral interdisant la circulation aux abords d’une route empruntée par les migrants du camp de Calais et autorisant, dans cette « zone de protection », les contrôles d’identité inconditionnels et obligatoires ? Comme il se devait, le nouveau régime des perquisitions administratives a conduit à des erreurs et/ou des dérives graves, des citoyens sans lien aucun avec le terrorisme perquisitionnés brutalement chez eux, en famille.

    Vouloir inscrire la déchéance de nationalité dans le texte constitutionnel est tout aussi grave. Ici, le passage par la voie constitutionnelle vise à poser des exceptions permanentes à un ensemble de normes que notre histoire avait hissées au niveau suprême. Le plus important concerne le principe d’égalité. En effet, selon une jurisprudence bien établie du Conseil constitutionnel, si le principe d’égalité autorise le législateur à traiter différemment deux catégories distinctes de personnes, ce principe exige que la différence de traitement ainsi caractérisée « soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit ». En l’espèce, le projet de réforme introduit une différence de traitement – une inégalité manifeste - entre les Français « mononationaux » et les Français binationaux. Cette division des Français en deux catégories, si elle avait été opérée par un projet de loi ordinaire, aurait ainsi dû être examinée par le Conseil à l’aune de l’objectif du texte, à savoir la lutte contre le terrorisme. Le Conseil constitutionnel aurait ainsi eu à répondre à la question saugrenue de savoir en quoi l’efficacité de la lutte antiterroriste justifie de sanctionner spécifiquement, par la déchéance de nationalité, les binationaux ! Ceux-ci seraient-ils plus à même de perpétrer des actes terroristes que les « Français de souche » ? Saugrenue, la question n’est évidemment pas neutre mais révèle, au contraire, une volonté de stigmatiser encore et toujours, et cette fois au niveau même de la Constitution, une catégorie précise de Français, ceux dont l’histoire est en partie liée aux anciennes colonies françaises.

    Gouverner par la peur

    Au surplus, en constitutionnalisant une mesure de sanction, la réforme vient altérer la fonction même de la Constitution qui est censée organiser l’Etat et garantir les droits et libertés des citoyens et aucunement édicter, elle-même, des mesures punitives.

    Et ici encore la constitutionnalisation envisagée est parfaitement inutile au regard des fins qui lui sont officiellement assignées. D’une part, la déchéance, tout comme la perte de nationalité prévue par notre code civil, épargne les terroristes franco-français. D’autre part, si l’objectif est d’expulser du territoire français ceux qui deviendraient alors parfaitement étrangers, les autorités restent contraintes par leurs engagements internationaux relatifs aux droits fondamentaux. A tout le moins, en effet, la Cour européenne des droits de l’homme, comme d’autres organes internationaux, interdit d’expulser des étrangers même condamnés pour terrorisme vers tout État, y compris le leur, où ils risquent d’être soumis à des actes de torture et traitements inhumains ou dégradants.

    Au bout du compte, en constitutionnalisant la déchéance de nationalité pour certains Français, cette réforme n’a donc que l’effet symbolique de faire apparaître dans la Constitution deux catégories de Français en stigmatisant ceux qui possèdent, pour des raisons tenant en partie à la colonisation, une autre nationalité, et qui seraient seuls visés par une sanction qui en contrepoint glorifierait l’identité nationale. Et si on reconnaît qu’il y a deux catégories de Français, c’est bien que le peuple français n’est plus un et indivisible, encore un mythe républicain qui passe à l’as.

    Le gouvernement par la peur et la division montre aujourd’hui clairement ses limites. Il faut rétablir les bases d’un Etat de droit digne de ce nom. Il est temps de répondre au terrorisme par la raison, la préservation des libertés et la construction de la paix. Nous en appelons aux gouvernants pour que, prenant appui sur les travaux sociologiques, historiques et philosophiques, ils s’interrogent sur les causes profondes du terrorisme et envisagent des voies nécessairement complexes, certainement étroites, mais qui permettent d’espérer une autre société, fondée sur l’égalité des individus, tournée vers l’émancipation collective.

    Liste des signataires : À lire ici. 

    Lire l’ensemble du dossier sur LeMonde.fr

     


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  • L’introduction dans notre Constitution de la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français serait un attentat contre la République, ruinant son principe d’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine. En portant ce projet, la présidence Hollande et le gouvernement Valls actent leur propre déchéance politique en signifiant leur ultime rupture avec le peuple de gauche qui les a élus.

    Decheance de nationalite inutile raciste sectaire

    L’histoire de la gauche est pavée de moments où l’essentiel est soudain en jeu parce qu’il a été trahi par ceux qui s’en réclamaient. De moments où il ne s’agit plus de savoir si l’on est d’accord ou non sur les politiques économique, sociale ou européenne suivies, mais où il est question de ce qui fonde durablement une identité politique, au-delà de ses aléas momentanés. Or, même si elle n’est en rien propriétaire de la morale ou du bien, la gauche, dans notre histoire républicaine, s’est affirmée en brandissant l’exigence démocratique fondamentale issue de la philosophie du droit naturel et de sa première traduction politique, la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Ce fut toujours son étendard, son cri de ralliement, son dernier refuge.

    Nous naissons libres et égaux en droit. Nous avons le droit d’avoir toutes et tous les mêmes droits, sans distinction d’origine, de sexe, de croyance, d’apparence. Et ces droits sont inaliénables et sacrés. C’est ainsi que nous sommes égaux devant la justice, répondant de nos actes selon les mêmes lois, sans différence de traitement et, notamment, de peines, sans discrimination liée à nos spécificités, par exemple le fait d’avoir hérité d’une double nationalité. Bref, il n’y a pas deux catégories de Français, dont l’une aurait une nationalité conditionnelle parce qu’elle aurait cette particularité d’avoir une autre nationalité. Non, il n’y a pas des Français plus que d’autres qui n’auraient qu’à répondre de leur crimes éventuels et d’autres qui, commettant les mêmes crimes, devraient être exclus de la nation alors même qu’ils sont nés Français, ont grandi en France, ne connaissent que la France.

    Idéal souvent malmené dans la réalité mais néanmoins fondateur du pacte républicain, ce qui vient d’être rappelé n’est autre que ce qu’énonce notre loi fondamentale, la Constitution de la République française. Et c’est cette loi fondamentale que la présidence Hollande et le gouvernement Valls entendent violenter avec le projet de loi constitutionnelle dit « de protection de la Nation » présenté au conseil des ministres du 23 décembre. Loin de protéger la Nation, ce texte entend la diviser, portant le ferment du démembrement d’une République indivisible pour tous ses citoyens en République divisée entre Français à raison de leur origine, ceux dont la double nationalité atteste d’un lien familial avec l’étranger, l’ailleurs et le monde, étant désignés comme Français sous réserve, Français d’occasion, Français en sursis.

    Pour dévaler un escalier, il n’y a que le premier pas qui coûte, écrivions-nous après le vote de la loi sur l’état d’urgence. Et quand les amarres sont rompues, les dérives peuvent être infiniment rapides. Nous y sommes, donc : la supposée habileté politicienne du discours de François Hollande devant le Congrès, le 16 novembre, enfante, un mois plus tard, d’une monstruosité politique que, sans doute, aucun électeur du second président socialiste de la Cinquième République n’aurait imaginé. Le chemin de perdition emprunté avec ce projet de loi cumule l’infamie, l’imposture et l’irresponsabilité. L’infamie, c’est de suivre l’extrême droite. L’imposture, c’est de surenchérir sur Nicolas Sarkozy. L’irresponsabilité, c’est de nous exposer encore un peu plus, de nous fragiliser et de nous diviser, face au terrorisme.

    Lire la suite : L’ultime rupture,23 DÉCEMBRE 2015 | PAR EDWY PLENEL (Médiapart) | Nantes secteur ouest

    CONCLUSION DE L'ARTICLE : Avec le gouvernement Valls, la prophétie orwellienne est au pouvoir. La guerre, c’est la paix. L’Etat, c’est le droit. L’indignité, c’est l’honneur. En politique, les ruptures morales sont autrement définitives que les divergences partisanes, de programme ou d’alliance. Elles brisent ce qui faisait du commun et du lien : une appartenance, une histoire, une complicité. Le communisme français tout comme son partenaire socialiste a connu de tels moments, qu’ils s’agissent des crimes staliniens, des dérives mollettistes ou de l’affairisme mitterrandien. Ce sont des moments tragiques, tant ils déchirent des fidélités, mais aussi fondateurs, tant ils obligent à tracer une autre route.


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  • On ne comprend pas l’enjeu véritable de la prolongation de l’état d’urgence [jusqu’à la fin février] en France, si on ne le situe pas dans le contexte d’une transformation radicale du modèle étatique qui nous est familier. Il faut avant tout démentir le propos des femmes et hommes politiques irresponsables, selon lesquels l’état d’urgence serait un bouclier pour la démocratie.

    de l'etat de droit à l'etat de securite

    Les historiens savent parfaitement que c’est le contraire qui est vrai. L’état d’urgence est justement le dispositif par lequel les pouvoirs totalitaires se sont installés en Europe. Ainsi, dans les années qui ont précédé la prise du pouvoir par Hitler, les gouvernements sociaux-démocrates de Weimar avaient eu si souvent recours à l’état d’urgence (état d’exception, comme on le nomme en allemand), qu’on a pu dire que l’Allemagne avait déjà cessé, avant 1933, d’être une démocratie parlementaire.

    Lire la suite par Giorgio Agamben

    Giorgio Agamben est un philosophe italien, spécialiste de la pensée de Walter Benjamin, de Heidegger, de Carl Schmitt et d’Aby Warburg.
    Auteur d’une œuvre théorique reconnue et traduite dans le monde entier, il vient de publier La Guerre civile. Pour une théorie politique de la Stasi, traduit par Joël Gayraud (Points, 96 pages, 6,50 euros) et L’Usage des corps. Homo Sacer, IV, 2, traduit par Joël Gayraud (Seuil, 396 pages, 26 euros).
     

     


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