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Un pouvoir hors la loi, un Etat hors contrôle Par François Bonnet / Mediapart.fr
27 nov. 2015 | Par François Bonnet– Mediapart.fr
URL source:https://www.mediapart.fr/journal/france/271115/un-pouvoir-hors-la-loi-un-etat-hors-controle(EXTRAITS )
Deux semaines après les attentats du 13 novembre, la Ve République présente le visage hideux de la peur, de l’emballement guerrier et d’un pouvoir hors contrôle. Cette fuite en avant sécuritaire est porteuse de nouvelles crises. Qu’un gouvernement socialiste en soit l’acteur renvoie aux pires jours de la IVe République sous Guy Mollet.
Qu’il est donc loin, « l’esprit du 11 janvier », célébré au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo puis de la tuerie antisémite au magasin HyperCasher de Vincennes !
Ce 11 janvier 2015, la société française se levait en masse, à l’occasion des plus grandes manifestations jamais survenues depuis l’après-guerre. Nous avions appelé à y participer (lire notre article ici), non pas pour célébrer une quelconque « union sacrée », dont l’histoire nous enseigne qu’elle mène à la catastrophe, mais pour rendre hommage aux victimes, en premier lieu, et pour être de cet immense réveil citoyen qui submergea alors la simple parole politique.
Les ambiguïtés, les dissonances, les contradictions de ces rassemblements furent relevées et débattues. Mais au moins la société était-elle là, en première ligne, dans sa force et sa diversité, mettant au défi l’ensemble de la classe politique d’élaborer des réponses radicalement nouvelles, qui ne répètent pas les erreurs tragiques du passé. Celles commises par l’administration Bush au lendemain du 11 septembre 2001.
Erreurs d’ailleurs inspirées par un autre naufrage, français celui-là : les pouvoirs spéciaux accordés à Guy Mollet en 1956 et l’engloutissement de la IVe République dans la guerre d’Algérie (pour rappel, les conseillers de Rumsfeld, ministre de la défense de Bush, étudièrent de près la bataille d’Alger).
Ce pouvoir, qui semble se résumer depuis le 13 novembre à trois hommes, François Hollande, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, n’a donc rien appris, rien retenu des crises passées qui aujourd’hui encore nous poursuivent. Le naufrage républicain de la guerre d’Algérie, le naufrage démocratique de l’après-11-Septembre : que faut-il donc de plus pour que ce pouvoir comprenne qu’il précipite le pays dans une zone de risques où, à la crise politique, se surajouteraient des déflagrations sociales ?
Il y a quelques mois seulement, au lendemain des attentats du 7 janvier, deux hommes avaient cadré les enjeux, et sans doute – avec beaucoup d’autres – endigué les tentations de fuite en avant du pouvoir. Le premier est Robert Badinter, qui avertissait alors : « Les terroristes nous tendent un piège. Ce n’est pas par des lois et des juridictions d’exception qu’on défend la liberté contre ses ennemis » (son texte est à lire ici). Le second est Dominique de Villepin : « Résistons à l’esprit de guerre. La guerre contre le terrorisme ne peut pas être gagnée, il n’y a pas de contre-exemple. Il faut une stratégie politique et une capacité à penser au-delà » (lire ici une de ses récentes tribunes).
(…) N’en déplaise à Robert Badinter et Dominique de Villepin, voilà donc la France précipitée et dans la guerre, et sous un régime d’exception. C’est le choix d’un pouvoir faible, inquiet, qui par cette violente fuite en avant tente de se sauver en se barricadant derrière l’état d’urgence.
L’état d’urgence de douze jours (tel que limité par la loi de 1955) aurait pu être exclusivement motivé par des impératifs sécuritaires. Complété, renforcé et prolongé de trois mois (voire plus, disent déjà des responsables), le voilà destiné à deux autres fonctions : museler la société en installant durablement cet état de peur qui tétanise ; interdire ou à tout le moins limiter les indispensables questionnements sur les choix politiques faits depuis des années.
Au-delà de l’engagement du pays dans une guerre – choix jamais véritablement discuté et expliqué –, la réponse au terrorisme est donc la mise entre parenthèses de notre démocratie. Après l’État de droit, voici l’État hors la loi. C’est un choix revendiqué par le Premier ministre. Se sentant sans doute à l’étroit entre François Hollande et Bernard Cazeneuve, Manuel Valls a bruyamment défendu l’instauration de ce régime d’exception, tout à son rôle de « Monsieur + ».
(…)Une campagne caricaturale
Endossant le nouveau programme présidentiel énoncé devant le parlement réuni en congrès, et qui puise massivement dans les projets de la droite comme de l’extrême droite, le premier ministre est le metteur en scène de cette hystérie sécuritaire qui inquiète plus qu’elle ne rassure. « La France mènera une guerre implacable » ;« éradiquer »,« anéantir » Daech ;« ennemi intérieur » ;« nous sommes tous au front » ;« cette guerre sera longue » ;« extraordinaire travail des forces de l’ordre » : Manuel Valls chef de guerre écarte toute question ou hésitation.
Le résultat ? Cette caricaturale campagne gouvernementale qui voudrait réduire notre participation à l’hommage à toutes les victimes du 13 novembre, à un drapeau bleu, blanc, rouge à télécharger et à accrocher à sa fenêtre, à un « Faites un selfie en bleu, blanc, rouge » et à une pensée Twitter en 140 signes surle hashtag #FiersdelaFrance.
Choquante, la soudaine nationalisation d’une douleur partagée par la société interroge sur les arrière-pensées politiques d’un pouvoir aux abois. « Je suis révulsé par l’étatisation de l’émotion, par son appropriation par ceux-là mêmes dont le destin politique ne tient plus qu’à son instrumentalisation permanente », note Philippe Aigrain, l’un des responsables de la Quadrature du Net.
Cette construction dans l’urgence d’un régime d’exception ne réglera pas la question sécuritaire. Pas plus que ne l’ont réglée les dix lois visant à lutter contre le terrorisme adoptées depuis 2001.
Nos libertés menacées par l’arbitraire de l’État, notre démocratie mise sous cloche, l’effacement des repères politiques dans un pays gangréné par l’extrême droite… Ces décisions sont porteuses d’autres crises.
En 1955, l’état d’urgence fut rapidement jugé insuffisant. Il fallait encore et encore élargir les pouvoirs de la police et de l’armée : ce fut, un an plus tard, les pouvoirs spéciaux. Avec ces derniers, un président du conseil socialiste, Guy Mollet, donnait le signal du naufrage de la IVe République et, avec elle, d’une gauche française déshonorée. François Hollande et Manuel Valls empruntent la même pente.
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