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Un Etat à contrôler d'urgence / Sine Mensuel n°49 - janvier 2016
Savent-ils au moins ce qu’ils ont fait ? Savent-ils qu'en déployant leur arsenal sécuritaire - proclamation de l'état d'urgence, projet de loi visant àconstitutionnaliser cet état d'urgence soumis au conseil des ministres du 23 décembre puis au vote de cette nouvelle loi dans les semaines àvenir -, ils ont donné des allumettes àun pyromane ?
François Hollande et Manuel Valls viennent de faire passer la France d'un État de droit à«un État de sécurité»comme l'écrit le philosophe Giorgio Agamben* pour qui «l'état d'urgence n'est pas un bouclier qui protège la démocratie. Au contraire, il a toujours accompagnéles dictatures et a même fourni un cadre légal aux exactions de l'Allemagne nazie ». Tout est dit.
Et pourtant ce n'est pas faute de les avoir mis en garde, conseillés, exhortés àne pas faire le jeu de la droite, voire de l'extrême droite. Mais le président de la République et le Premier ministre n'entendent rien, ne voient rien. Ni le danger de telles mesures, ni le mur de protestations qui se dresse devant eux, bâti par des démocrates qui se sont associés pour gâcher la fête martiale des partisans aveugles de ces mesures liberticides. Ainsi, le Syndicat de la magistrature (SM) rappelle que «lutter contre le terrorisme, c'est d'abord protéger nos libertés et nos institutions démocratiques en refusant de céder àla peur et àla spirale guerrière. L'État de droit n'est pas l'État impuissant ». Ainsi un militant écolo, un des assignés àrésidence, a poséune Question prioritaire de constitutionnalité, mettant en cause la conformitéde ce dispositif avec les droits et libertés constitutionnellement garantis.
Les « gardiens de la Constitution » sont venus au secours de l'exécutif en affirmant ne rien voir d'anticonstitutionnel dans ces assignations. Et voilàHollande et Valls sauvés par la droite.
La Ligue des droits de l'homme, une des premières àhurler contre la prolongation de l'état d'urgence, vient de signer, avec 87 associations et 15 syndicats l'appel «Nous ne céderons pas ».
«Après la prorogation de l'état d'urgence et l'extension des pouvoirs de police [...], il nous paraît essentiel de rappeler que rien ne doit nous faire sortir de l'État de droit et nous priver de nos libertés.
L'état d'urgence ne peut devenir un état permanent et les conditions de sa mise en œuvre ne sauraient entraver la démocratie sociale, l'exercice de la citoyennetéet le débat public. »Enfin, qui plus est, la commission des lois de l'Assemblée nationale qui a votéla prolongation de l'état d'urgence àl'unanimitémoins six voix (dont Pouria Amirshahi, a décidéde recenser toutes les opérations de police, interpellations, assignations, perquisitions avec une obstination de comptable. Le président de la commission, Jean-Jacques Urvoas (PS), s'interroge, en effet, sur le contrôle parlementaire des mesures prises pendant l'état d'urgence, sur le décalage entre le récit des perquisitions dans la presse et les réponses du ministère de l'Intérieur. Alors, si en plus des syndicats, des avocats, des magistrats, des associations et des défenseurs des libertés, les députés s'inquiètent...
C'est dire qu'il est urgent de contrôler l'état d'urgence. Et de rassembler ceux qui résistent àla politique de la peur.
MARIE CIGALI, Sine Mensuel n°49 - janvier 2016 (qui consacre un dossier de plusieurs pages à la question de l’Etat d’Urgence)
* Le Monde du 24 décembre 2015.
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