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La faute du désinhibé Valls
- Mediapart.fr
Où l'on découvre que Manuel Valls rejoint, dans un argumentaire forcené mis en ligne sur Facebook, tous les furieux de la déchéance de nationalité, qui enragent du verrou européen interdisant de créer des apatrides...
La descente aux enfers de la gauche française se poursuit au sujet de la déchéance de nationalité – ce qui reste quand on a politiquement tout perdu. Paris, adepte d’un soudain et coriace moins disant idéologique, lorgne ostensiblement les voisins sur lesquels s’aligner (voir l'article d'Edwy Plenel: Tout est possible, surtout le pire).
« Le même débat existe en Belgique », affirme ainsi le premier ministre français Manuel Valls dans un argumentaire (argumenteur ?) écrit à la décrochez-moi-ça, mis en ligne sur Facebook lundi 28 décembre. Affirmation contestable et contestée. Outre-Quiévrain, le débat a été tranché. En juillet dernier, une loi fut adoptée, qui autorise un juge à prononcer la déchéance de nationalité pour les auteurs de crimes terroristes.
Le quotidien La Libre Belgique se permet aussitôt un petit rappel au règlement : « Manuel Valls serait bien mal inspiré de prendre le cas belge en exemple. La loi adoptée par son voisin du nord est bien différente de celle qu'il s'apprête à soumettre au parlement français. Le gouvernement belge a en effet renoncé à autoriser la déchéance de nationalité à des personnes qui sont nées belges. Ce que la France ne semble toujours pas envisager. »
« En Allemagne, la question ne se pose pas puisque la binationalité n’y est pas autorisée », claironne péremptoirement Manuel Valls, qui en est resté à ses vieux classiques sur le « droit du sang » outre-Rhin. Rien n’est plus faux ! La binationalité a toujours été autorisée en Allemagne pour les ressortissants de l'Union européenne et de la Suisse. Et depuis 2014, une loi autorise les enfants nés en Allemagne de parents étrangers à devenir allemands sans renoncer à leur nationalité première. Une telle mesure vise en particulier les enfants d'immigrés turcs. Elle est simplement soumise à conditions : avoir vécu huit ans dans le pays, y avoir étudié au moins six ans, avoir passé un examen scolaire ou achevé une formation professionnelle avant sa 21e année.
Daniel Cohn-Bendit a mouché, ce mardi 29 décembre, le premier ministre (« Il faut de toute urgence que Manuel Valls retourne à l’école ! »), dans la mesure où l’ancien eurodéputé personnifie cette possibilité d’être binational, que le locataire de Matignon dénie étourdiment à l’Allemagne. Depuis mai dernier, le vétéran de Mai-68 jadis surnommé « Dany-le-rouge » et un temps interdit de territoire hexagonal, bénéficie, en sus de son passeport allemand, d’un passeport français – comme prit la peine de le lui annoncer personnellement l’actuel titulaire du ministère de l’intérieur, Bernard Cazeneuve…
Dans sa tribune débridée de Facebook, Manuel Valls, tout entier à sa logique mimétique (appliquons la politique du FN pour le faire disparaître !), cite le cas de la Grande-Bretagne, qui pourrait priver de la nationalité en toute démocratie. Le cas d’espèce ne manque pas de sel. Il démontre ce que le socialisme déboussolé peut produire comme politique déroutée, qui profitera aux plus aptes à en tirer les bénéfices : la droite extrême qui vient toujours après la gauche à la peine...
C’est en effet Tony Blair (il occupa le 10 Downing Street de 1997 à 2007) qui fit voter, en 2002 (dans le sillage du 11 septembre 2001), un texte laissant grande latitude au ministère de l’intérieur pour déchoir qui, à ses yeux, « met gravement en cause les intérêts vitaux » du pays. En 2005 (suite aux attentats du métro de Londres), la déchéance de nationalité en arrivait à sanctionner tout individu jugé (sans jugement mais en vertu de la seule prescience du Home Office) attentatoire « à l’intérêt public ».
Ces coups de rabots aux libertés publiques dans le pays de l’Habeas Corpus n’avaient guère porté à conséquence, jusqu’à l’arrivée au pouvoir en 2010 du sémillant mais très conservateur David Cameron, flanqué d’une ministre de l’intérieur, Theresa May, terriblement portée sur la question de la déchéance, vue comme son apanage. Avec en écho le ministre de l’immigration, Mark Harper, allant répétant : « La citoyenneté est un privilège et non un droit »…
Résultat, des individus réputés dangereux doivent pouvoir être escamotés, comme ne s’en cachait pas David Cameron aux Communes, en janvier 2014 : « Il nous faut corriger la difficulté que nous avons à déporter ceux qui ne devraient pas être chez nous mais excipent d’argument spécieux comme le droit à vivre ici en famille. » On retrouve, là comme ailleurs, ce trop-plein démocratique faisant le jeu des djihadistes et transformant, aux yeux de la prétendue raison d’État, tout défenseur des droits en idiot utile agissant tel un allié objectif du terrorisme…
Cependant, le pragmatisme règne outre-Manche. Le royaume n’ayant pas de Constitution, il est par définition impossible de constitutionnaliser la déchéance. Un autoritarisme plus prosaïque triomphe à bas bruit. Fin 2014, Theresa May obtient gain de cause : il est loisible au ministère de l’intérieur de confisquer trente jours durant le passeport d’un sujet de sa Majesté soupçonné de partir avec des visées djihadistes, tout en empêchant pendant deux ans tout citoyen sorti du territoire de revenir sur le sol britannique, sur la seule foi d’un soupçon d’ordre terroriste.
Les adeptes du tout répressif à l'échelle du vieux continent tombent sur un hic aux allures de droit international coutumier : l'interdiction de transformer un ressortissant national en apatride. L’encadrement européen du retrait et de la perte de la nationalité (euphémismes remplaçant « déchéance » chez certains juristes policés) limite donc l’autonomie revendiquée des États membres de l’UE en la matière. Cette protection sur laquelle veille la Cour de justice européenne apparaît tel un verrou inacceptable, aux yeux des gouvernements donnant libre cours à leur autoritarisme au nom de la lutte antiterroriste. Une jonction entre une gauche redevenue daladiériste et les mouvements dits souverainistes est possible.
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