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État islamique, terrorisme, attentats, fanatisme / Assistons-nous à une guerre des civilisations?
Par rozalux dans Europe, (élections) mondialisation, luttes internationales le 4 Septembre 2015 à 00:19La théorie du choc des civilisations n'est pas nouvelle, mais semble s'imposer toujours davantage dans le débat public, à droite bien sûr, mais aussi de plus en plus à gauche. Cette théorie, développée par l'auteur américain Samuel Huntington, est devenue une des principales clefs de lecture des conflits.
Florian Gulli, professeur de philosophie, coordinateur du dossier (1) pour la Revue du projet.
Mais les conflits internationaux sont-ils bien des guerres de civilisations, c'est-à-dire, peu ou prou, des guerres de religions ?
« Ce qui se passe aujourd'hui n'a pas beaucoup à voir avec les civilisations, mais beaucoup avec le capitalisme. »
L'analyse des conflits contemporains invalide cette approche. La plupart des conflits opposent des coreligionnaires. Daech tue beaucoup plus de musulmans que d'Occidentaux non musulmans. Par ailleurs, des pays s'allient malgré les différences de religion: l'Arabie saoudite et les États-Unis par exemple. L'impérialisme, qui part de causes politiques et économiques, reste la grille d'analyse la plus pertinente pour penser les guerres.
L'idée de « guerre des civilisations » est de plus en plus souvent mobilisée pour penser des problèmes sociaux à l'intérieur des nations. Après les émeutes de 2005 en France, au lendemain de chaque attentat, l'idée revient : nous serions en guerre, deux civilisations se feraient face sur le territoire français.
Les frères Kouachi par exemple. Sont-ils les représentants de la « civilisation musulmane » ? N'étaient-ils pas plutôt imprégnés d'une manière de vivre qui doit beaucoup aux cités populaires dont les habitants ont emprunté une partie de leurs codes musicaux et vestimentaires aux ÉtatsUnis, une partie de leurs mots au parler populaire français (le verlan) ?
Mais si les auteurs des attentats sont des produits de la société française, comment expliquer leurs actes ? Par le chômage et la misère ? Par la discrimination ? Si ces facteurs doivent être pris en compte, ils ne suffisent pas. Le mal est plus profond.
Ces actes s'inscrivent dans ce que Lucien Sève nomme une « dérive civilisationnelle ». Le capitalisme contemporain provoque un formidable évanouissement du sens, menaçant la vie humaine dans ce qu'elle a de plus noble et de plus civilisé. Le seul objectif proposé aux individus dorénavant est l'accumulation d'argent et la consommation. À cette fin, tous les moyens sont bons : « savoir se vendre », « devenir un tueur », etc. À quoi s'ajoute le fatalisme : pas d'alternatives à ce monde, rien à attendre d'une histoire désormais achevée.
Ce discours de la résignation visait hier à conjurer la « menace »communiste ; il a produit des effets inattendus. Des individus privés de toute cause à embrasser dans un contexte de chômage de masse et de travail déqualifié. Que peut-il leur rester ? Endosser les valeurs du capitalisme contemporain, l'argent et la prédation, c'està-dire devenir trader ou délinquant ? Se jeter dans l'utopie religieuse la plus fanatique ?
Bien entendu, beaucoup résistent aussi. Car l'horizon émancipateur d'une société des égaux, s'il a reflué, n'a pas disparu.
Ce qui se passe en France aujourd'hui n'a pas beaucoup à voir avec les civilisations, mais beaucoup avec le capitalisme et le monde qu'il engendre. Ceux qui déplorent violence et tensions sociales mais qui ne disent mot sur le capitalisme et les valeurs qu'il charrie (prédation, pillage, concurrence, individualisme) seraient bien avisés de se taire. On ne peut condamner l'effet quand on encourage la cause.
(1) À retrouver dans le numéro 49 téléchargeable sur pcf.fr
SOURCE : humanite digitale / –du 04/09/2015
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