• De Paris à Bamako, décrétons l'état d'urgence de vivre

    catalog-cover-iconÉdition spéciale de l'Humanité. Malgré l’épouvante, partout en France et dans le monde, des hommes et des femmes se retrouvent, se parlent, se réconfortent et s’inventent de nouvelles fraternités. Pour conjurer le pire.

    Paris, samedi soir. Minuit passé. Les rues sont vides. Boulevard Voltaire, en face du Bataclan, des dizaines de personnes, en couple, en groupe, se recueillent devant les milliers de bouquets de fleurs et de témoignages griffonnés à la main accrochés aux grilles du petit square sur le trottoir d’en face. Au sol, les flammes des bougies dansent sous le vent glacé.

    La semaine dernière, une amie a croulé sous les témoignages de solidarité d’amis maliens. Depuis vendredi, c’est à son tour de leur envoyer des messages de soutien. Ces assassins tuent aveuglément partout. Hier à Alger. Puis à Bagdad, ou au Nigeria. Des entrefilets dans les journaux. Il y a eu New York. Puis Toulouse, Beyrouth. Paris et Saint-Denis. Un électrochoc. La sidération. La peur. Puis, la prise de conscience d’une faillite de nos sociétés où l’on s’accommode des inégalités, de la misère ici, à nos côtés et pas qu’ailleurs. Les gouvernements adoptent un vocable guerrier. Partout, l’état d’urgence. Partout, le couvre-feu. Une surenchère qui joue sur la peur et l’émotion.

    Et les gens se mettent à parler

    Samedi et dimanche, les marchés parisiens, fermés la semaine dernière, étaient bondés. Rue Ordener, dans le 18e, à quelques rues de là où l’on a retrouvé l’une des voitures qui a servi aux assassins, on fait la queue chez le poissonnier, chez le boucher, le marchand de légumes. Et les gens se mettent à parler, parler, entre tristesse et douleur, entre peur et désir de vivre. Bamako est dans toutes les têtes. Bruxelles aussi. Paris est un village. Dans son entourage, on connaît tous quelqu’un qui connaît quelqu’un qui, ce 13 novembre, était sur les lieux du drame. Ce n’est pas la vie qui reprend ses droits. La vie ne s’est jamais arrêtée. Les théâtres, les salles de spectacle accusent le coup. Pourtant, vendredi, au Zénith, le public était au rendez-vous des Simple Minds. Ils sont entrés en file indienne. Comme en procession. Ils se sont alignés. Jim Kerr, le chanteur, s’est dirigé lentement vers le micro : « Bonsoir Paris. Nous sommes de Glasgow. Nous sommes Simple Minds. Ça va être un grand concert, mais avant, je vous propose une minute de réflexion pour les victimes de Paris et à travers le monde. » Pendant une minute, le thème de la très mélancolique Rivers of Ice (Rivières de glace) a accompagné le silence des milliers de fans. Après le concert, un groupe de Lillois « débriefe », une bière en main. Il n’y est pas question du fantastique Mandela Day en acoustique ou du très signifiant Alive and Kicking (Bel et bien vivant), mais de la peur de venir à un concert. « Moi, j’ai eu peur, je l’avoue », dit l’un d’eux. « C’est lui qui m’a forcé à venir », ajoute-t-il, en se tournant vers son ami, lui jetant un regard empreint d’un remerciement sincère.

    Au Théâtre de la Tempête, à la Cartoucherie, Igor Mendjisky, le metteur en scène d’Idem, a pris la parole avant le spectacle. Une pièce qui commence par la prise d’otages au théâtre Doubrovka à Moscou en 2002. Comme une évidence, après un échange avec les acteurs, ils ne jouent pas cette première scène où ils font irruption dans la salle, kalachnikov à la main. Pour les spectateurs, pour les acteurs, par respect pour les victimes du 13 novembre. Même réaction au Théâtre de Montreuil où il est question d’attentats terroristes dans Iris, d’après Manchette et mis en scène par Mirabelle Rousseau. À Saint-Denis, Au Pavillon, un bar musical situé derrière la basilique, les jeunes, ça ne désemplit pas. Vendredi soir, on a dansé au son du raï et de la techno, on a chanté des Marseillaise et des Internationale.

    Ces mêmes flammes qui dansent...

    Et puis il y a ce couple d’amis, venus d’Arles, jeudi, avec leur petite Juliette auprès de L. et de sa fille dont le mari figure parmi la longue liste des morts du Bataclan. « On ne trouve pas les mots. On est là. Comment expliquer à une petite fille de deux ans qu’elle ne reverra plus son papa ? »

    Le boulevard Voltaire, le Stade de France, la place de la République sont toujours recouverts de bougies. Ce sont ces mêmes flammes qui dansent dans le cœur des habitants de Beyrouth, Bamako, Bruxelles. Et d’ailleurs. Partout, on chante la Marseillaise. On arbore le drapeau bleu-blanc-rouge jusque dans les réseaux sociaux. Ce même drapeau, ces dernières années confisqué par l’extrême droite, redevient celui du peuple. Celui qui, en 1789, inventait la démocratie, les droits de l’homme et se rebellait dans les rues de Paris, bouleversant l’ordre établi, sillonnant les rues de Paris, du côté de la Bastille, du Faubourg-Saint-Antoine. On pense au spectacle de Joël Pommerat, Fin de Louis (1), ça ira, à voir absolument, de toute urgence par les temps qui courent. Les Parisiens qui fréquentent les bistrots du Nord et de l’Est parisien ne se contentent pas de boire et de rire. Dans ces endroits, on refait le monde, on est de toutes les manifs alter-quelque chose, on est solidaire des autres, des étrangers, de tous les réfugiés. Comme si l’esprit de 1789 ne s’était jamais éteint. Le bonheur est une idée neuve en Europe, disait Saint-Just. Elle est une idée neuve dans le monde. À Beyrouth. À Saint-Denis. À Bamako. À Bruxelles. À Yaoundé. À Alger. À Tunis. À Bagdad… Décrétons partout l’état d’urgence de vivre. Malgré la terreur.

    ralliement place de la République  De nombreuses personnes ont continué hier à se déplacer place de la République, à Paris, pour rendre hommage aux 130morts des attentats du 13 novembre. Des anonymes s’organisent pour protéger les innombrables souvenirs disposés autour de la statue et abîmés par la pluie de la veille. Alors que des intempéries sont annoncées pour les prochains jours, les messages sont ramassés et plastifiés. Les fleurs fanées, morceaux de cire de bougie durcie, papiers détrempés sont également enlevés et les bouquets déplacés contre le piédestal en marbre de la statue. Très présent, le collectif « 17, plus jamais », créé après les attaques contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, a déjà photographié plusieurs centaines de messages et dessins pour les archiver.

    SOURCE : http://www.humanite.fr/de-paris-bamako-decretons-letat-durgence-de-vivre-590448


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